mardi 20 août 2013

" Au lieu de méditer la vie [des apôtres, martyrs et autres saints], pour suivre leur exemple, [le monde] a mis toute son étude à contempler et tenir comme trésor leurs os, chemises, ceintures, bonnets, et semblables fatras. Si on voulait ramasser tout ce qui s'est trouvé [de pièces de la vraie croix], il y en aurait la charge d'un bon grand bateau. Quelle audace a-ce été de remplir la terre de pièces de bois en telle quantité que trois cents hommes ne les sauraient porter !

Quel sacrilège est-ce, d'abuser ainsi du nom de Jésus-Christ, pour couvrir des fables tant froidement forgées ? [On a beau faire].. tout cela ne fait rien pour approuver que Jésus-Christ ait été crucifié avec quatorze clous, ou qu'on eût employé une haie tout entière à lui faire sa couronne d'épines; ou qu'un fer de lance en ait enfanté, depuis, trois autres; ou que d'un suaire seul il en soit sorti une couvée, comme de poussins d'une poule. Ils n'ont point eu honte de feindre une relique de la queue de l'âne sur lequel notre Seigneur fut porté, ils la montrent à Gènes. Mais il ne nous faut étonner non plus de leur impudence, que de la sottise et stupidité du monde, qui a reçu avec dévotion une telle moquerie.


Si on leur eût montré des crottes de chèvres, et qu'on leur eût dit : voici des patenôtres (chapelets) de Notre Dame, ils les eussent adorées sans contredit.

L'abbaye de Charroux, au diocèse de Poitiers, se vante d'avoir le prépuce, c'est-à-dire la peau qui lui fut coupée à la circoncision. L'Evangéliste saint Luc raconte bien que notre Seigneur Jésus a été circoncis; mais que la peau ait été gardée, pour la réserver en relique, il n'en fait point de mention. Que dirons-nous du prépuce qui se montre à Rome, à Saint-Jean de Latran ? Il est certain que jamais il n'y en a eu qu'un... un troisième prépuce de notre Seigneur, se montre à Hildesheim.

Il n'y a si petite villette ni si méchant couvent, où l'on ne montre du lait de la sainte Vierge, les uns plus, les autres moins. Tant y a que si la sainte Vierge eût été une vache, ou qu'elle eût été une nourrice toute sa vie, à grand peine en eût-elle pu rendre telle quantité. D'autre part, je demanderais volontiers comment ce lait, qu'on montre aujourd'hui partout, s'est recueilli pour le réserver en notre temps. Il est bien dit que les bergers ont adoré Jésus-Christ, que les mages lui ont offert leurs présents; mais il n'est point dit qu'ils aient rapporté du lait pour récompense.

Les dernières reliques qui appartiennent à Jésus-Christ : un morceau du poisson rôti que lui présenta saint Pierre, quand il lui apparut sur les bords de la mer. Il faut dire qu'il a été bien épicé, ou qu'on y ait fait un merveilleux saupiquet, qu'il s'est pu garder si longtemps. Mais, sans risée, est-il à présumer que les apôtres aient fait une relique du poisson qu'ils avaient apprêté pour leur dîner?

partout où il y a église qui porte les noms [de Saint Pierre ou Saint Paul], il y en a des reliques. Si on demande quelles, qu'on se souvienne de la cervelle de saint Pierre qui était au grand autel de cette ville [de Genève]. Tout ainsi qu'on trouva que c'était une pierre de ponce, ainsi trouverait-on beaucoup d'os de chevaux ou de chiens, qu'on attribue à ces deux apôtres. Ainsi en est-il des reliques : tout y est si brouillé et confus, qu'on ne saurait adorer les os d'un martyr qu'on ne soit en danger d'adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d'un âne, ou d'un chien, ou d'un cheval.

On ne saurait adorer un anneau de Notre-Dame, ou un sien peigne, ou ceinture, qu'on ne soit en danger d'adorer les bagues de quelque paillarde (prostituée).

Le principal serait d'abolir entre nous chrétiens cette superstition païenne, de canoniser les reliques, tant de Jésus-Christ que de ses saints, pour en faire des idoles. "

Morceaux choisis du Traité des Reliques, par Calvin.