mardi 15 mai 2012

Proudhon , 1 .

" La proprieté devient plus insociale à mesure qu'elle se distribue sur un plus grand nombre de têtes . Ce qui semble devoir adoucir , humaniser la proprieté , le privilège collectif , est précisément ce qui montre la propriété dans sa hideur : la propriété divisée , la propriété impersonnelle , est la pire des propriétés . [...] Gardons-nous de prendre pour association la communauté de propriété . Le propriétaire-individu peut encore se montrer accessible à la pitié , à la justice , à la honte ; le propriétaire-corporation est sans entrailles , sans remords . C'est un être fantastique , inflexible , dégagé de toute passion et de tout amour , qui agit dans le cercle de son idée comme la meule dans sa révolution écrase le grain . Ce n'est point en devenant commune que la propriété peut devenir sociale : on ne remédie point à la rage , en faisant mordre tout le monde . La propriété finira par la transformation de son principe , non par une corporation indéfinie . Et c'est pourquoi la démocratie , ou système de la propriété universelle , que quelques hommes , aussi intraitables qu'aveugles , s'obstinent à prêcher au peuple , est impuissante à créer la societé .

Combien le socialisme , avec ses utopies de dévouement , de fraternité , de communauté , de travail attrayant , est encore au-dessous de l'antagonisme propriétaire , qu'il se flatte de détruire , et que cependant il ne cesse de copier ! Le socialisme , à bien le prendre , est la communauté du mal , l'imputation faite à la societé des fautes individuelles , la solidarité entre tous les délits de chacuns . La propriété , au contraire , par sa tendance , est la distribution commutative de bien et l'insolidarité du mal , en tant que le mal provient de l'individu . A ce point de vue , la propriété se distingue par une tendance à la justice , qu'on est loin de rencontrer dans la communauté . Pour rendre insolidaires l'activité et l'inertie , créer la responsabilité individuelle , sanction suprême de la loi sociale , fonder la modestie des moeurs , le zèle du bien public , la soumission au devoir , l'estime et la confiance réciproque , l'amour désintéressé du prochain , pour assurer toutes ces choses , le dirais-je ? L'argent , cet infâme argent , symbole de l'inégalité et de la conquête , est un instrument cent fois plus efficace , plus incorruptible et plus sûr que toutes les préparations et les drogues communistes . "

jeudi 10 mai 2012

Last Night of the Proms

Évangile selon St-Mathieu , XXIV

24,1. Jésus, étant sorti du temple, S'en allait.Alors Ses disciples s'approchèrent, pour Lui faire remarquer les constructions du temple. 24,2. Mais Il leur répondit: Voyez-vous tout cela?En vérité, Je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. 24,3. Et comme Il était assis sur le mont des Oliviers, Ses disciples s'approchèrent de Lui en particulier, et Lui dirent: Dites-nous quand ces choses arriveront, et de quel signe il y aura de Votre avènement et de la consommation du siècle. 24,4. Et Jésus leur répondit: Prenez garde que personne ne vous séduise. 24,5. Car beaucoup viendront sous Mon nom, disant: Je suis le Christ, et ils en séduiront beaucoup. 24,6. Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres.Gardez-vous de vous troubler; car il faut que ces choses arrivent, mais ce ne sera pas encore la fin. 24,7. Car on verra se soulever peuple contre peuple, et royaume contre royaume; et il y aura des pestes et des famines, et des tremblements de terre en divers lieux. 24,8. Et tout cela ne sera que le commencement des douleurs. 24,9. Alors on vous livrera aux tourments, et on vous fera mourir; et vous serez en haine à toutes les nations, à cause de Mon nom. 24,10. Alors aussi beaucoup seront scandalisés, et ils se trahiront et se haïront les uns les autres. 24,11. Et de nombreux faux prophètes surgiront, et séduiront beaucoup de monde. 24,12. Et parce que l'iniquité abondera, la charité d'un grand nombre se refroidira. 24,13. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé. 24,14. Et cet Evangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations; et alors viendra la fin. 24,15. Quand donc vous verrez l'abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. 24,16. Alors que ceux qui sont en Judée s'enfuient dans les montagnes, 24,17. et que celui qui sera sur le toit n'en descende pas pour emporter quelque chose de sa maison, 24,18. et que celui qui sera dans les champs ne retourne point pour reprendre sa tunique. 24,19. Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui allaiteront en ces jours-là! 24,20. Priez pour que votre fuite n'ait pas lieu en hiver, ou un jour de sabbat. 24,21. Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu'il n'y en a pas eu de pareille depuis le commencement du monde jusqu'à présent, et qu'il n'y en aura jamais. 24,22. Et si ces jours n'avaient été abrégés, nulle chair n'aurait été sauvée; mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés. 24,23. Alors si quelqu'un vous dit: Voici, le Christ est ici; ou: Il est là, ne le croyez pas. 24,24. Car il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes, qui feront de grands signes et des prodiges, au point de séduire, s'il était possible, même les élus. 24,25. Voici que Je vous l'ai prédit. 24,26. Si donc on vous dit: Le voici dans le désert, ne sortez pas; Le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez pas. 24,27. Car comme l'éclair part de l'orient et se montre jusqu'à l'occident, ainsi sera l'avènement du Fils de l'homme. 24,28. Partout où sera le corps, là s'assembleront les aigles. 24,29. Aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil s'obscurcira, et la lune ne donnera plus sa lumière, et les étoiles tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. 24,30. Alors le signe du Fils de l'homme apparaîtra dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel, avec une grande puissance et une grande majesté. 24,31. Et Il enverra Ses Anges, avec la trompette et une voix éclatante, et ils rassemblront Ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu'à l'autre. 24,32. Apprenez une comparaison prise du figuier.Quand ses branches sont déjà tendres, et que ses feuilles naissent, vous savez que l'été est proche; 24,33. de même, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l'homme est proche, et qu'Il est aux portes. 24,34. En vérité, Je vous le dis, cette génération ne passera point que toutes ces choses n'arrivent. 24,35. Le ciel et la terre passeront, mais Mes paroles ne passeront point. 24,36. Quant à ce jour et à cette heure, personne ne les connaît, pas même les Anges des Cieux, mais le Père seul. 24,37. Ce qui arriva aux jours de Noé arrivera aussi à l'avènement du Fils de l'homme. 24,38. Car de même que, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche, 24,39. et qu'ils ne surent rien, jusqu'à ce que le déluge vint et les emporta tous, ainsi en sera-t-il à l'avènement du Fils de l'homme. 24,40. Alors deux hommes seront dans un champ: l'un sera pris, et l'autre laissé. 24,41. Deux femmes moudront à la meule: l'une sera prise, et l'autre laissée. 24,42. Veillez donc, parce que vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur viendra. 24,43. Sachez-le bien, si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait certainement, et ne laisserait pas percer sa maison. 24,44. C'est pourquoi, vous aussi, soyez prêts, car le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous ne savez pas. 24,45. Quel est, pensez-vous, le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur ses gens, pour leur distribuer leur nourriture en temps convenable? 24,46. Heureux ce serviteur, si son maître, à son arrivée, le trouve agissant ainsi! 24,47. En vérité, Je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens. 24,48. Mais si ce serviteur est méchant, et dit en son coeur: Mon maître tarde à venir, 24,49. et s'il se met à battre ses compagnons, s'il mange et boit avec les ivrognes, 24,50. le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne s'y attend pas, et à l'heure qu'il ne connaît pas, 24,51. et il le séparera, et lui assignera sa part avec les hypocrites; là il y aura des pleurs et des grincements de dents .

dimanche 6 mai 2012

Le Loup des steppes , 1

" Le bourgeois apparaît ainsi par sa nature-même comme un être sans grande vitalité , angoissé , craignant toute forme de renoncement à soi et facile à gouverner . Voilà pourquoi il a substitué le rincipe de majorité à celui de pouvoir concentré , la loi à la force , le vote à la responsabilité individuelle . Il est clair que des personnes aussi faibles et anxieuses ne peuvent se maintenir longtemps en vie , même si elles sont encore fortement représentées . Leurs particularités les rendent incapables de jouer un autres rôle que celui du troupeau de brebis égaré parmis des loups vagabondant en toutes liberté . Cependant , dans les périodes où des natures très fortes détiennent le pouvoir , nous constatons que les bourgeois sont certes les premiers à être éliminés , mais qu'ils ne disparaissent jamais complètement ; ils semblent même parfois être les véritables maîtres du monde . Comment cela est-il possible ? Ni leur nombre , ni leur vertu , ni leur bon-sens , ni leur instinct d'organisation ne sont assez grands pour les sauver de leur perte . Par ailleurs , aucune médecine au monde ne peut maintenir en vie des personnes dont la force vitale est aussi faible dès le départ . Or malgré cela , la bourgeoisie existe , se montre puissante et prospère . Pourquoi ? La réponse est la suivante : c'est à cause des Loups des steppes . En effet , la force vitale de la bourgeoisie ne repose aucunement sur les particularités de ses membres normaux , mais sur celles des outsiders extraordinairement nombreux qu'elle est capable d'englober , grâce à l'imprécision et à l'élasticité de ses idéaux . On trouve toujours parmi les bourgeois une foule importante de natures fortes et indomptées . Harry , notre Loup des steppes , en était un exemple caractéristique . Il s'était dévellopé en tant qu'individu à un degré dépassant de loin les possibilités du bourgeois . [...] Ainsi de vastes couches d'humanité s'accumulent-elles autour de la véritable masse que forme la bourgeoisie authentique ; des milliers d'existences et d'intelligences qui se situent au-delà de niveau d'évolution bourgeois et qui auraient normalement pour vocation de se concentrer à l'absolu . Chacun de ces êtres reste attaché par des sentiments infantiles au monde bourgeois ; se voit condamné par sa mollesse ; s'obstine d'une certaine manière à vivre parmi ses membres ; continue d'une certaine manière à en être l'esclave , l'obligé , le serviteur de ceux-ci . Car c'est l'inverse du principe des Grands Hommes qui prévaut aux yeux de la bourgeoisie : celui qui n'est pas contre elle est pour elle ! "


Etude féminine

vendredi 4 mai 2012

La montée de l’insignifiance

« Dans l’histoire de l’Occident, il y a une accumulation d’horreurs –contre les autres tout autant que contre lui-même. Ce n’est pas là le privilège de l’Occident : qu’il s’agisse de la Chine, de l’Inde, de l’Afrique avant la colonisation ou des Aztèques, les accumulations d’horreurs sont partout. L’histoire de l’humanité n’est pas l’histoire de la lutte des classes, c’est l’histoire des horreurs bien qu’elle ne soit pas que cela. Il y a , il est vrai, une question à débattre, celle du totalitarisme : est-ce, comme je le pense, l’aboutissement de cette folie de la maîtrise dans une civilisation qui fournissait les moyens d’extermination et d’endoctrinement à une échelle jamais auparavant connue dans l’histoire, est-ce un destin pervers immanent à la modernité comme telle avec toutes les ambiguïtés dont elle est porteuse, est-ce encore autre chose ? (…) Il y a quelque chose qui est la spécificité, la singularité et le lourd privilège de l’Occident : cette séquence social-historique qui commence avec la Grèce et reprend, à partir du XIème siècle, en Europe occidentale, est la seule dans laquelle on voit émerger un projet de liberté, d’autonomie individuelle et collective, de critique et d’autocritique : le discours de dénonciation de l’Occident en est la plus éclatante démonstration. Car on est capable en Occident, du moins certains d’entre nous, de dénoncer le totalitarisme, le colonialisme, la traite des Noirs ou l’extermination des Indiens d’Amérique. Mais je n’ai jamais vu les descendants des Aztèques, les Hindous ou les Chinois faire une autocritique analogue, et je vois encore aujourd’hui les Japonais nier les atrocités qu’ils ont commises pendant la seconde guerre mondiale. Les Arabes dénoncent ans arrêt leur colonisation par les Européens, lui imputant tous les maux dont ils souffrent –la misère, le manque de démocratie, l’arrêt du développement de la culture arable, etc. Mais la colonisation de certains pays arabes a duré, dans le pire des cas, cent trente ans : c’est le cas de l’Algérie de 1830 à 1962. Mais ces mêmes arabes ont été réduits à l’esclavage et colonisés par les Turcs pendant cinq siècles. La domination Turque sur le Proche et le Moyen Orient commence au XVIème siècle et se termine en 1918. Il se trouve que les Turcs étaient musulmans –donc les arabes n’en parlent pas. L’épanouissement de la culture arabe s’est arrêtée vers le XIème, au plus XIIième siècle, huit siècles avant qu’il soit question d’une conquête par l’Occident. Et cette même culture arabe s’était bâtie sur la conquête, l’extermination et/ou la conversion plus ou moins forcée des populations conquises. En Egypte, en 550 de notre ère, il n’y avait pas d’arabes –pas plus qu’en Libye, en Algérie, au Maroc ou en Irak. Ils sont là comme des descendants des conquérants venus coloniser ces pays et convertir, de gré ou de force, les populations locales. Mais je ne vois aucune critique de ces faits dans le cercle civilisationnel arabe. De même, on parle de la traite des Noirs par les Européens à partir du XVIème siècle, mais on ne dit jamais que la traite et la réduction systématique des Noirs en esclavage ont été introduites en Afrique par des marchands arabes à partir du XI-XIIième siècle (avec comme toujours la participation complice des rois et chefs de tribus noirs), que l’esclavage n’a jamais été aboli spontanément en pays islamique et qu’il subsiste toujours dans certains d’entre eux. Je ne dis pas que tout cela efface les crimes commis par les Occidentaux, je dis seulement ceci : que la spécificité de la civilisation Occidentale est cette capacité de se mettre en question et de s’auto-critiquer. Il y a dans l’histoire Occidentale, comme dans toutes les autres, des atrocités et des horreurs, mais il n’y a que l’Occident qui a crée cette capacité de contestation interne, de mise en cause de ses propres institutions et de ses propres idées, au nom d’une discussion raisonnable entre êtres humains qui reste indéfiniment ouverte et ne connaît pas de dogme ultime. » Castoriadis , La montée de l’insignifiance .