lundi 30 avril 2012

Hélie de Saint Marc : L'Honneur de Vivre

 Via Nebo :


« QUE DIRE A UN JEUNE DE 20 ANS »


« Quand on a connu tout et le contraire de tout, quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie, on est tenté de ne rien lui dire, sachant qu’à chaque génération suffit sa peine, sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause font partie de la noblesse de l’existence. Pourtant, je ne veux pas me dérober, et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci, en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain : "Il ne faut pas s’installer dans sa vérité et vouloir l’asséner comme une certitude, mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère". A mon jeune interlocuteur, je dirai donc que nous vivons une période difficile où les bases de ce qu’on appelait la Morale et qu’on appelle aujourd’hui l’Ethique, sont remises constamment en cause, en particulier dans les domaines du don de la vie, de la manipulation de la vie, de l’interruption de la vie. Dans ces domaines, de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir. Oui, nous vivons une période difficile où l’individualisme systématique, le profit à n’importe quel prix, le matérialisme, l’emportent sur les forces de l’esprit. Oui, nous vivons une période difficile où il est toujours question de droit et jamais de devoir et où la responsabilité qui est l’once de tout destin, tend à être occultée. Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela, il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine. Il faut savoir, jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure, rouler son propre rocher. La vie est un combat le métier d’homme est un rude métier. Ceux qui vivent sont ceux qui se battent. Il faut savoir que rien n’est sûr, que rien n’est facile, que rien n’est donné, que rien n’est gratuit. Tout se conquiert, tout se mérite. Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu. Je dirai à mon jeune interlocuteur que pour ma très modeste part, je crois que la vie est un don de Dieu et qu’il faut savoir découvrir au-delà de ce qui apparaît comme l’absurdité du monde, une signification à notre existence. Je lui dirai qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves, cette générosité, cette noblesse, cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde, qu’il faut savoir découvrir ces étoiles, qui nous guident où nous sommes plongés au plus profond de la nuit et le tremblement sacré des choses invisibles. Je lui dirai que tout homme est une exception, qu’il a sa propre dignité et qu’il faut savoir respecter cette dignité. Je lui dirai qu’envers et contre tous il faut croire à son pays et en son avenir. Enfin, je lui dirai que de toutes les vertus, la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres, de toutes les vertus, la plus importante me paraît être le courage, les courages, et surtout celui dont on ne parle pas et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse. Et pratiquer ce courage, ces courages, c’est peut-être cela "L’Honneur de Vivre" »


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« Les adolescents d’aujourd’hui ont peur d’employer des mots comme la fidélité, l’honneur, l’idéal ou le courage. Sans doute ont-ils l’impression que l’on joue avec ces valeurs – et que l’on joue avec eux. Ils savent que leurs aînés se sont abîmé les ailes. Je voudrais leur expliquer comment les valeurs de l’engagement ont été la clef de voûte de mon existence, comment je me suis brûlé à elles, et comment elles m’ont porté. Il serait criminel de dérouler devant eux un tapis rouge et de leur faire croire qu’il est facile d’agir. La noblesse du destin. humain, c’est aussi l’inquiétude, l’interrogation, les choix douloureux qui ne font ni vainqueur ni vaincu. Que dire à un cadet ? Peut-être, avec pudeur, lui glisser dans la paume de la main deux ou trois conseils : mettre en accord ses actes et ses convictions ; pouvoir se regarder dans la glace sans avoir à rougir de lui-même ; ne pas tricher, sans doute la plus difficile, pratiquer et tâcher de concilier le courage et la générosité ; rester un homme libre. J’ai toujours essayé de récupérer les débris de mon existence pour faire tenir debout mon être intérieur. Même en prison et réprouvé, j’ai cherché à être heureux. Un ami m’a dit un jour : "tu as fait de mauvais choix, puisque tu as échoué". Je connais des réussites qui me font vomir. J’ai échoué, mais l’homme au fond de moi a été vivifié. Je tiens le courage en haute estime car il me semble contenir toutes les autres vertus. Je crains les êtres gonflés de certitudes. Ils me semblent tellement inconscients de la complexité des choses … Pour ma part, j’avance au milieu d’incertitudes. J’ai vécu trop d’épreuves pour me laisser prendre au miroir aux alouettes. Ai-je toujours été fidèle ? Ai-je toujours agi selon l’honneur ? J’ai essayé, sans jamais y parvenir entièrement, d’être digne des autres et de la vie. Je ne connais pas de vérité tranquille. Je veux ajouter de la vie aux années qui me restent, témoigner de tout ce qui dure, retrouver la vérité de l’enfant que j’ai été. Simplement essayer d’être un homme. »

Toute une vie


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« Il y a eu un avant : ce jeune homme bravache et courageux à sa manière, policé et ironique, tellement inconscient et adolescent que j’étais en ce matin de septembre où j’ai franchi les trois porches successifs du camp de Buchenwald. Il y a eu un après : ces peaux rasées, ces mains fouillant dans les poches à la recherche de miettes de pain absentes, ces petits pas hésitants, ces visages prématurément ridés, les regards de bêtes affolées… j’ai eu un moment de recul et d’effroi. » « Avant mon séjour dans les camps de concentration, je pensais que le pire venait d’ailleurs. J’ai trouvé le pire chez les autres, mais aussi en moi. Ce n’est pas l’abandon des siens qui est le plus dure à vivre, mais la déchéance de l’homme en soi. C’est la tristesse des déportés. Nous n’avions plus de larmes. Les appels au secours dans la nuit restaient sans réponse. L’agonie et les cauchemars, le sifflement des poumons à bout de course, les excréments vidés dans les gamelles ou à même les châlits, tant certains étaient exténués, les corps purulents sans le moindre pansement faisaient partie de notre quotidien. Nous étions des sacs d’os prononçant à peine dix mots par jour. La pendaison, dans l’imagerie SS, représentait l’exemplarité, l’ordre implacable. La sentence était toujours exécutée avec solennité, devant tous les pyjamas rayés. Plus les SS étaient démonstratifs et moins nous étions impressionnés. Cela ne me faisait même plus d’effet. Arrivé à un tel stade, on ne pense plus. "Je vis encore cet instant", me disais-je, et puis cet autre. Ne pas avoir peur de la mort était le premier commandement du déporté. Sinon, il trébuchait aussitôt tant elle planait autour de nous."Un pendu, me disais-je, et puis cet autre". Un homme nu, battu, humilié, reste un homme s’il garde sa propre dignité. Vivre, ce n’est pas exister à n’importe quel prix. Personne ne peut voler l’âme d’autrui si la victime n’y consent pas. La déportation m’a appris ce que pouvait être le sens d’une vie humaine : combattre pour sauvegarder ce filet d’esprit que nous recevons en naissant et que nous rendons en mourant.

Toute une vie

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« L’Histoire est un orage de fer, qui hache les hommes comme du bois sec. Après, il faut recueillir les cendres, comprendre, raconter. Les hommes croient trop souvent qu’ils peuvent s’affranchir de ce devoir - oublier serait si facile ! -, mais le passé finit tôt ou tard par revenir à la surface. C’est un poids dans la conscience, un fantôme insaisissable, qui empêche de vivre : il étend, jour après jour, une ombre sur l’avenir. Chaque fois que j’ai dû rencontrer les enfants de mes camarades morts en terre lointaine, j’ai pu sentir leur désarroi. J’ai correspondu avec nombre d’entre eux. J’essaie de retrouver dans ma mémoire des traces de présence, des gestes, des attitudes, un regard. Mais je me sens impuissant et démuni. Les mots sont pauvres quand il faut combler l’absence. Lorsqu’un ami mourait à nos côtés, nous pensions que la vie s’arrêtait net, comme un moteur d’avion qui cale en plein vol ou une plante qu’on arrache de la terre. En fait, une cruche se brisait : des larmes et des parfums se répandaient sur le sol, dont je sais aujourd’hui qu’ils coulent longtemps encore à l’intérieur des enfants. » « Je me souviens d’une nuit en pays thaï, après un parachutage. L’ennemi avait décroché au bout d’une journée de combat. Nous étions éreintés. Je n’avais pas dormi plus de quatre heures en trois jours. Je suis tombé dans un sommeil sans rêve ni réveil. Quand je suis revenu à moi, le matin s’était levé. Une légère brume tapissait le sol, à la hauteur du mauvais bat-flanc sur lequel j’avais dormi. Immobile, j’ai ouvert les yeux. Des enfants, à demi nus, se sont approchés de moi. Ils m’ont dévisagé, avec de grands yeux étonnés, qui ne cillaient pas en rencontrant les miens. Ils m’apportaient un bol de soupe. Derrière eux, un énorme buffle, sorti tout droit de la préhistoire, avançait lentement, dodelinant de la tête, dédaigneux, comme s’il inspectait son domaine personnel. La joie déferlait en moi, en ondes puissantes. Je ne pouvais pas la contrôler. J’avais l’impression de naître à nouveau. C’était une joie d’une force animale - et pourtant tellement humaine. Un nouveau jour se levait. J’avais failli ne jamais le connaître. On avait voulu me tuer. J’avais sans doute tué d’autres hommes. De l’autre côté de la montagne, des soldats pleuraient leurs camarades, tués par ma faute. Des vies, peut-être admirables, s’étaient arrêtées. Des familles étaient endeuillées pour toujours. L’horreur de la guerre était passée, à laquelle ni moi ni eux ne pouvions rien. La vie suivait son cours éternel, sans se soucier de nous. »

Les sentinelles du Soir



mardi 24 avril 2012

Charles de Foucault


“Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du nord de l’Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvementnationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l’esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l’étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses ; d’autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu’elle a avec les Français (représentants de l’autorité, colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d’elle. Le sentiment national ou barbaresque s’exaltera dans l’élite instruite : quand elle en trouvera l’occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l’islam comme d’un levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant. L’empire Nord-Ouest-Africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d’habitants ; il en aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans. Il sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d’habitants rompus au maniement de nos armes, dont l’élite aura reçu l’instruction dans nos écoles. Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. “

lundi 23 avril 2012

Fatum

 Evola , L’Arc et la Massue :




Selon l’acception moderne la plus courante, le “ destin ” est une puissance aveugle qui plane sur les hommes, qui s’impose à eux en faisant que se réalise ce qu’ils souhaitent le moins, en les poussant éventuellement vers la tragédie et le malheur. Fatum a ainsi donné naissance au mot “ fatalisme ”, qui est l’opposé de toute initiative libre et efficace. Selon la vision fataliste du monde, l’individu n’est rien ; son action, en dépit de toute apparence de libre-arbitre, est prédestinée ou vaine, et les évènements se succèdent en obéissant à une puissance ou une loi qui le transcende et qui ne le prend pas en compte. “ Fatal ” est un adjectif qui a essentiellement une connotation négative : issue “ fatale ”, accident “ fatal ”, l’“ heure fatale de la mort ” , etc. Selon la conception antique, le fatum correspondait par contre à la loi de manifestation continue du monde ; cette loi n’était pas réputée aveugle, irrationnelle et automatique - “fatale ” au sens moderne du mot - , mais chargée de sens et comme procédant d’une volonté intelligente, surtout de la volonté des puissances olympiennes. Le fatum romain renvoyait, de même que le rta indo-européen, à la conception du monde en tant que cosmos, en tant qu’ordre, et en particulier à la conception de l’histoire comme un développement de causes et d’évènements reflétant une signification supérieure. Même les Moires de la tradition grecque, tout en présentant certains aspects maléfiques et “ infernaux ” (dus à l’influence de cultes préhelléniques et pré-indo-européens), apparaissent souvent comme des personnifications de la loi intelligente et juste qui préside au gouvernement de l’univers, dans certaines de ses expressions. Mais c’est surtout à Rome que l’idée de fatum prend une importance toute particulière. Et ce parce que la civilisation romaine fut, de toutes les civilisations de caractère traditionnel et sacré, celle qui se concentra le plus sur le plan de l’action et de la réalité historique. Pour elle, il fut donc moins important de connaître l’ordre cosmique comme une loi supra-temporelle et métaphysique que de le connaître comme force en acte dans la réalité, comme vouloir divin qui ordonne les évènements.

C’est à cela que se rattachait le fatum pour les Romains. Ce terme vient du verbe fari, d’où dérive aussi le mot fas, le droit comme loi divine. Ainsi, fatum renvoie à la “ parole ” - à la parole révélée, surtout à celle des divinités olympiennes qui permet de connaître la norme juste (fas) en tant que celle-ci annonce ce qui va arriver. On doit ajouter, à propos de ce second aspect, que les oracles, par lesquels un art traditionnel précis cherchait à saisir en germe des situations devant se réaliser, s’appelaient aussi fata ; ils étaient pratiquement la parole révélée de la divinité. Mais, pour bien comprendre ce que nous sommes en train d’étudier, il faut se souvenir du rapport que l’homme entretenait, dans la Rome antique et dans les civilisations traditionnelles en général, avec l’ordre global du monde. C’était un rapport très différent de celui qui devait s’instaurer plus tard.

Pour l’homme antique, l’idée d’une loi universelle et d’un vouloir divin n’annulait pas la liberté humaine ; mais sa préoccupation constante était de mener sa vie et son action de sorte qu’elles fussent la continuation de l’ordre global et, pour ainsi dire, comme le prolongement ou le développement de cet ordre. A partir de la pietas, c’est-à-dire, pour un Romain, de la reconnaissance et de la vénération des forces divines, on se fixe comme tâche de pressentir la direction de ces forces divines dans l’histoire de façon à pouvoir y accorder opportunément l’action, à la rendre extrêmement efficace et chargée de sens. D’où le rôle très important que jouèrent dans le monde romain, jusque dans le domaine des affaires publiques et de l’art militaire, les oracles et les augures. Le Romain avait la ferme conviction que les pires mésaventures, et notamment les défaites militaires, dépendaient moins d’erreurs, de faiblesses ou de travers humains que du fait d’avoir négligé les augures, c’est-à-dire, pour en revenir à l’essentiel, d’avoir agi de façon désordonnée et arbitraire, en suivant de simples critères humains, en rompant les liens avec le monde supérieur (donc, pour un Romain, cela voulait dire avoir agi sans religio, sans “ rattachement ”), sans tenir compte des “ directions d’efficacité ” et du “ moment juste ” indispensables à une action couronnée de succès. On remarque que la fortuna et la felicitas ne sont souvent, dans la Rome antique, que l’autre face du fatum, sa face proprement positive. L’homme, le chef ou le peuple qui emploient leur liberté pour agir en conformité avec les forces divines cachées dans les choses connaissent le succès, réussissent, triomphent - et cela signifiait, dans l’Antiquité, être “fortuné ” et être “ heureux ” (ce sens s’est conservé dans des locutions comme “ une heureuse initiative ” , une “ heureuse manoeuvre ”, etc.).

Un historien contemporain, Franz Altheim, a cru pouvoir déceler dans cette attitude la cause effective de la grandeur de Rome. Pour éclairer encore mieux les rapports qui unissent le “ destin ” à l’action humaine, on peut recourir à la technique moderne. Il y a certaines lois régissant choses et phénomènes, qui peuvent être connues ou ignorées, dont on peut tenir compte ou ne pas tenir compte. Face à ces lois l’homme reste foncièrement libre. Il peut même agir de façon contraire à ce que ces lois lui conseilleraient, avec pour résultat l’échec ou l’atteinte du but après un gaspillage d’énergie et d’innombrables difficultés. La technique moderne correspond à la possibilité opposée : on cherche à connaître le mieux possible les lois des choses pour pouvoir les exploiter, pour qu’elles montrent le point de moindre résistance et donc d’efficacité maximale quant à la réalisation d’un objectif donné. Il en va de même sur un plan où il ne s’agit plus des lois de la matière, mais de forces spirituelles et “ divines ”. L’homme de l’Antiquité estimait essentiel de connaître ou, du moins, de pressentir ces forces, afin de pouvoir se faire une idée des conditions propices à une action donnée et, éventuellement, une idée de ce qu’il devrait faire ou ne pas faire. Défier le destin, s’élever contre le destin, n’avait pour lui rien de “ prométhéen ” , au sens romantique de ce terme exalté par les modernes ; c’était tout simplement une sottise. L’impiété (le contraire de la piété qui se rapporte donc à l’être privé de religio, sans “ rattachement ” et sans compréhension respectueuse de l’ordre cosmique) équivalait plus ou moins, pour l’homme de l’Antiquité, à la stupidité, à l’infantilisme, à la fatuité. La comparaison avec la technique moderne n’est défectueuse que sur un point : parce que les lois de la réalité historique ne se présentaient pas comme froidement “ objectives ”, tout à fait détachées de l’homme et de ses buts.

On pourrait répondre ainsi : passée une certaine limite, l’ordre divin objectif lié au “ destin ” cesse d’être déterminant et devient incertain (ce que dit aussi la fameuse formule astrologique : astra inclinant non determinant). Ici commence le monde humain et historique au sens propre. En toute rigueur, ce monde devrait continuer le précédent, la volonté humaine devrait prolonger la volonté “ divine ”. Que cela advienne, ou non, dépend essentiellement de la liberté : il faut le vouloir. Dans le cas positif, ce qui était seulement en puissance devient, grâce à l’action humaine, réalité. Le monde humain se présentera alors comme une continuation de l’ordre divin et l’histoire même revêtira les contours d’une révélation et d’une “ histoire sacrée ” ; alors, l’homme ne vaut plus et n’agit plus pour lui-même mais recouvert d’une dignité divine, et l’ordre humain acquiert, d’une certaine façon, une dimension supérieure. On voit donc qu’il ne s’agit pas ici de “ fatalisme ” . De même qu’une action contre le “ destin ” est sotte et irrationnelle, de même une action harmonisée avec le “ destin ” est non seulement efficace, mais aussi transfigurante.

Celui qui ne tient pas compte du fatum est presque toujours emporté passivement par les évènements ; celui qui le connaît, l’assume et s’y conforme est par contre guidé vers un accomplissement supérieur, chargé d’un sens qui dépasse l’individu. Telle est la signification de la maxime selon laquelle les fata “ nolentem trahunt, volentem ducunt ”. Dans le monde romain antique et dans l’histoire romaine, on trouve un grand nombre d’épisodes, de situations et d’institutions où est justement mise en lumière l’impression de rencontres “ fatidiques ” entre le monde humain et le monde divin. Des forces supérieures sont à l’oeuvre dans l’histoire et se manifestent à travers les forces humaines. Pour nous contenter d’un seul exemple, rappelons que “ le moment culminant du culte romain de Jupiter était constitué par un acte où le dieu affirme sa présence, chez un homme, en qualité de vainqueur, de triomphateur.

Ce n’est pas que Jupiter soit la seule cause de la victoire, il est lui-même le vainqueur ; on ne célèbre pas le triomphe en son honneur, mais c’est lui le triomphateur. C’est pour cette raison que l’imperator revêt les insignes du dieu ” (K. Kerényi, F. Altheim). Actualiser le divin - parfois prudemment, parfois audacieusement - dans l’action et dans l’existence fut un principe directeur que la Rome antique appliqua aussi à l’ordre politique. C’est pourquoi certains auteurs ont fait remarquer avec raison que Rome ignora, à la différence d’autres civilisations, le mythe au sens abstrait et anhistorique ; à Rome le mythe se fait histoire, et l’histoire, à son tour, prend un aspect “ fatal ”, devient mythique. D’où une conséquence importante. Dans des cas comme celui évoqué, c’est une identité véritable qui se réalise. Il ne s’agit pas d’une parole divine qui peut être entendue ou non entendue. Il s’agit d’un déploiement des forces supérieures. On est ici en présence d’une conception spéciale, objective, nous serions tenté de dire transcendantale, de la liberté. En m’opposant au fatum, je peux bien sûr revendiquer pour moi un libre-arbitre, mais celui-ci est stérile, est un simple “ geste ” qui ne saurait avoir beaucoup d’incidence sur la trame de la réalité. Par contre, quand je fais en sorte que ma volonté continue un ordre supérieur, soit seulement l’instrument par lequel cet ordre se réalise dans l’histoire, ce que je veux dans un tel état de coïncidence ou de syntonie peut se traduire éventuellement par une injonction adressée à des forces objectives qui, autrement, ne se seraient pas pliées facilement ou qui n’auraient pas eu d’égard pour ce que les hommes veulent et espèrent. On peut maintenant se poser la question suivante : comment en est-on arrivé à cette conception moderne qui fait du destin une puissance obscure et aveugle ?

Comme tant d’autres, un tel glissement de sens n’a rien de fortuit. Il reflète un changement de niveau intérieur et s’explique, essentiellement, par l’avènement de l’individualisme et de l’“ humanisme ” compris dans un sens général, c’est-à-dire en rapport avec une civilisation et une vision du monde uniquement fondées sur ce qui est humain et terrestre. Il est évident que, cette scission s’étant produite, on ne pouvait plus saisir un ordre intelligible du monde, mais seulement un pouvoir obscur et étranger. Le “ destin ” devint alors le symbole de toutes les forces les plus profondes qui agissent et sur lesquelles l’homme, malgré sa maîtrise du monde physique, ne peut pas grand-chose parce qu’il ne les comprend plus, parce qu’il s’est détaché d’elles ; mais aussi d’autres forces que l’homme, par son attitude même, a libérées et rendues souveraines dans différents domaines de sa propre existence.

mardi 10 avril 2012

Parabole de la vigne et des sarments , Jean 15-1

1 Moi, je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.

2 Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde afin qu'il porte encore plus de fruit.

3 Déjà, vous êtes émondés, à cause de la parole que je vous ai annoncée.

4 Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure sur le cep, de même vous non plus, si vous ne demeurez en moi.

5 Moi, je suis le cep ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, porte beaucoup de fruit, car sans moi, vous ne pouvez rien faire.

6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, et il sèche ; puis l'on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent.

7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.

8 Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit, et vous serez mes disciples.

9 Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.

10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme j'ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour.

11 Je vous ai parlé ainsi, afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.

12Voici mon commandement : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.

13 Il n'y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

14 Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande.

15 Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelé amis, parce que tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître.